Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences. Denis Corpet, peut-on avoir confiance dans ces
livres ?
Denis Corpet. En gros oui, on peut suivre beaucoup de leurs conseils. Ce sont
des médecins, intelligents et travailleurs, ambitieux mais sympathiques. Ils ont travaillé la question plusieurs mois avec une approche "scientifique" : ils ne
promettent pas "la lune" mais basent leurs affirmations sur des publications sérieuses. Et tous deux encouragent positivement le lecteur à prendre sa vie en main, à faire
des choix pour vivre mieux. C’est un message d’espoir avec lequel je suis bien d’accord : "Oui, on peut agir pour sa santé !". David & David donnent donc
beaucoup de bons conseils "classiques" et de bon sens, sans diaboliser les aliments. Ces mêmes conseils que le PNNS oblige les annonceurs à écrire en bas des affiches et des pubs télé. Mais après les premiers chapitres, ça se gâte un peu car nos deux David
affirment des choses non démontrées. Beaucoup de choses, et pas du tout démontrées. Sont-elles fausses ? On n’en sait rien. Sont-elles vraies ? Nul ne le sait. Il
n’y a pas de preuves. Autrement dit, ces affirmations sont des hypothèses, basées sur quelques indices. Doit-on baser sa façon de manger, sa façon de vivre, sur des
hypothèses ? On peut le faire, mais… c’est un peu risqué.
Des exemples particuliers ? Car on en trouve des dizaines, dans chacun des
livres.
DSS et DK affirment que le curcuma est un puissant anti-cancer :
« Mettez-en partout », suggère David Khayat. Et que son pouvoir est renforcé par
le poivre. Cela n’a jamais été montré chez des gens, des êtres humains. Il est vrai que dans beaucoup de publications, on voit l’effet anti-cancer de fortes doses
de curcuma sur des cellules, ou chez des rats auxquels on a injecté un cancérigène. Alors, ce qui marche
chez les rats marcherait-il aussi chez l’homme ? Ce n’est pas sûr du tout.
Par ailleurs, il existe plus de 300 composés végétaux qui ont, comme le curcuma, un pouvoir anti-cancer sur des cellules en culture ou chez
les rongeurs [1]. Le curcuma est l’un d’eux, ni plus ni moins. Rien ne prouve que le curcuma soit mieux que les myrtilles ou le citron. Rien ne prouve qu’il marche contre les
cancers des gens. C’est possible, mais c’est possible aussi que de grandes quantités de curcuma, potentialisée par du poivre, aient des effets négatifs, voire toxiques.
Certaines études chez l’animal montrent même une toxicité du curcuma ! [2]
David Khayat dit qu’il a été « épaté par les propriétés » de la quercétine, qu’on trouve dans les pommes, les oignons et bien
d’autres…
Peut-être, mais on trouve aussi beaucoup d’études où la quercétine favorise les cancers expérimentaux. Comment savoir si nous, les êtres humains,
nous aurons plutôt davantage de cancer, ou moins de cancers, en mangeant de la quercétine ? Je suis donc d’accord pour manger des pommes et des oignons. Mais je ne suis pas d’accord pour faire l’apologie de la
quercétine.
Ce même auteur affirme que la grenade est « l’un des plus puissants agents alimentaires préventifs du cancer »…
Ici encore, il n’y a aucune preuve directe publiée chez l’Homme. On observe juste un important « pouvoir antioxydant » du jus de grenade. Mais antioxydant ne veut
pas dire anticancer. Une revue systématique des essais cliniques au cours desquels ont été donnés des antioxydants (vitamine C, vitamine E, bêta-carotène) à des volontaires
montre plutôt une surmortalité, légère mais significative (G.Bjelakovic, 2004) : autrement dit, non seulement les antioxydants ne protègent pas, mais ils augmentent un
peu la mortalité. Alors le jus de grenade, bon ou mauvais ?
David Khayat reprend tout de même les travaux de votre équipe, sur la viande
rouge !
Oui, et j’ai été flatté de voir qu’il avait lu ce que nous faisons à Toulouse. Mais il donne des conseils fermes à partir de nos études sur les lésions précancéreuses des
rats. C’est vrai que lorsque nous donnons à nos rats "le rouge" de la viande (le fer héminique) leurs lésions intestinales prolifèrent, et que le calcium inhibe cet effet.
Mais pour l’instant rien n’est montré chez l’homme, ni même sur les cancers du Rat ! De plus David K écrit que les viandes Halal et Casher n’ont plus d’hème : or
ces viandes sont rouges de leur myoglobine, avec son fer héminique. Non, on ne doit pas tirer de recommandations à partir d’études préliminaires, fussent-elles
scientifiques.
D’autres exemples ?
David Khayat dit qu’il ne faut pas manger de saumon, trop truffé de mercure. Les enquêtes sérieuses sur le mercure des poissons montre que les gros poissons
carnivores qui vivent plusieurs années (requin, espadon, thon) contiennent effectivement trop de mercure pour les femmes enceintes - cela n’a pas spécialement
d’effet sur le cancer -, mais que les saumons ne contiennent pas trop de mercure. En consommer deux fois par semaine est très largement bénéfique (P. Verger
2007).
Il affirme aussi que le sélénium fait preuve de son efficacité contre le
cancer de la prostate, ce qui est « très vrai » dans une bonne étude (Clarck, 1998), mais pas du tout dans une autre, très bonne aussi (Lippman, 2009). Ce qui est
plus grave, c’est qu’il dit aussi « On ne lui connaît pas d’effets toxiques ».
Alors là, c’est plus que faux ! A dose trop forte, le sélénium est un poison, et même un poison violent !!
Plus problématique peut-être, parce que plus courante, cette suspicion sur le jus
d’orange…
En effet, David Khayat dit que la consommation de jus d’orange est l’une
des causes de l’augmentation des mélanomes, en raison des psoralènes [3] de l’orange. Cette hypothèse n’est pas idiote, mais il me semble idiot de l’écrire dans un livre destiné au grand public. Il me semblerait plus intelligent de
la tester d’abord par des études épidémiologiques et expérimentales, pour savoir si elle est plausible ou farfelue. Utiliser l’argument d’autorité pour faire peur aux gens
avec une hypothèse qu’ils ne peuvent vérifier, ressemble étrangement aux moyens de manipulation utilisés par les gourous des sectes.
Enfin, les deux David défendent le Bio à fond…
Oui, et ils affirment comme une évidence que les produits de l’agriculture conventionnelle, bourrés de pesticides, sont la cause de nombreux cancers. Je cite :
« Et l’effet cancérigène de ces substances chimiques est, pour le coup, une certitude. Ce
qui perturbe nos cellules jusqu’à les rendre malignes est aujourd’hui incontesté : certains pesticides, polluants, conservateurs ou additifs alimentaires. » Non seulement c’est
contesté, mais aucun scientifique sérieux n’écrirait cela. Car malgré de très nombreux travaux sur ce sujet, on ne trouve dans la littérature scientifique AUCUNE étude
montrant que les aliments contenant de faibles doses de ces produits causent le cancer chez l’homme. Ni que
les produits Bio sont meilleurs. Ni que les produits conventionnels seraient cancérigènes. C’est aussi la conclusion du WCRF [4] (au niveau mondial) et pour la France, du rapport des Académies de Médecine, des Sciences, et d’autres (nov 2007).
Alors pourquoi les David affirment-ils ce qui n’a aucun fondement scientifique ni
médical ?
Attention, ne les diabolisons pas ! Leurs "affirmations péremptoires" sont nuancées quand on lit leur livre en entier. Mais dans les résumés de fin d’ouvrage, dans les
interviews des magazines, ou dans leurs réponses aux questions du public, les messages sont trop simplifiés. Pour le "Bio", je suppose que les David disent ce que "tout le
monde croie". Attitude "politique" (qu’on appelle la démagogie) : dire aux gens ce qu’ils veulent entendre. Mais ce n’est pas une attitude scientifique. Par ailleurs on
peut aussi se demander pourquoi ces deux médecins trouvent utile d’écrire un livre après avoir fait "un gros travail" (d’après leurs dires, un an et quelques centaines
d’articles lus), alors que ce travail a déjà été fait, en mieux, par un groupe de deux cents médecins et chercheurs scientifiques. Payés par le World Cancer Research Fund,
les meilleurs spécialistes de la prévention du cancer ont réalisé sur cinq ans, et de façon systématique, la synthèse de plusieurs milliers d’articles (7 000 ont été retenus
parmi beaucoup d’autres). Leur gros rapport [5]] fait autorité dans le monde entier, et il est disponible gratuitement sur Internet, en
anglais. Les conclusions et recommandations du WCRF ont été traduites en français par le réseau NACRe et l’INCa.
Au contraire, DSS et DK n’ont jamais travaillé "professionnellement" pour la prévention des cancers (DSS est neurologue, DK est oncologue et soigne des cancers par
chimiothérapie). Ils ont fait leur livre "en amateur", bénévolement (j’espère que leur travail "bénévole" sera rémunéré par les droits d’auteur). Et ils nous donnent leur
opinion personnelle. Elle est respectable, mais beaucoup moins étayée que celle d’un groupe important de gens compétents, qui ont discuté chaque phrase avant de l’écrire.
Mon conseil est donc de suivre les huit recommandations du WCRF : c’est gratuit, et c’est prouvé !
Propos recueillis par Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences. Mercredi 19 mai 2010
Accéder au site de Denis
Corpet
Sur son site personnel, Denis Corpet propose, sur la base de cette interview, une page
consacrée aux régimes anti-cancer dont les données seront réactualisées régulièrement.Accéder à
la page
De ou avec Denis Corpet, on peut lire sur le magazine Web de la Mission
Agrobiosciences :
Peut-on vraiment prévenir le
cancer par l’alimentation ?. Première édition de "ça ne mange pas de pain !". Novembre 2006. Télécharger
l’entretien PDF
« Alimentation et
prévention du cancer : quelle vérité ? ». 4èmes Rencontres Alimentation, Agriculture & Société. Décembre 2003.
Le bio est-il meilleur pour la
santé ? La vérité sur les bienfaits du bio. Entretien avec Denis Corpet, l’équipe Aliment et Cancer (Inra-Envt) et Bertil Sylvander, économiste et
sociologue. Emission de mai 2008 de "ça ne mange pas pain !". Télécharger l’Intégrale PDF de cette émission "On a bio dire : quel
méli-mélo
"Alcool et cancer :
l’augmentation du risque vient surtout des gros buveurs". La revue de presse commentée de la Mission Agrobiosciences avec la réaction de Denis Corpet. Fev.
2009
"A boire et à manger.
Nutrition, santé et produits laitiers". Entretien réalisée en octobre 2009 dans le cadre de l’émission "ça ne mange pas de pain !" : Voix lactées, des débats et du lait. Télécharger l’Intégrale
Lire sur le magazine Web de la Mission
Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
Alimentation et Cancer. Le
Dossier du Nouvel Observateur (1) « Comment je combats le Cancer ? ». Dossier commenté par Laurence Payraste. Biologiste à l’Unité Xénobiotiques
de l’INRA. 1er Octobre 2007.
Alicaments et
cosmetofood : trop beaux pour être vrais ?. Entretien avec Béatrice de Reynal, nutritionniste, directrice de Nutrimarketing. Dans le cadre de
l’émission spéciale de "ça ne mange pas de pain !", Les industries
agroalimentaires : mais qu’est-ce qu’elles fabriquent ?.Télécharger l’Intégrale PDF
Pesticides et
alimentation : la santé maltraitée ?. Chronique de Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences, suivie d’un entretien avec Laurence Payrastre, biologiste
à l’Unité Xénobiotiques de l’Inra. Emission de juin 2007 de "ça ne mange pas de pain !". Télécharger l’Intégrale PDF.
|
Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société Des
conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine
Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le
Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème
mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues,
des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences
Accéder à toutes les publications : Agriculture et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin
de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et
Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder à toutes les publications : Sur le
bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des
relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission
Agrobiosciences
Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une
expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à
l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder à toutes les Publications : Science et Lycéens. Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment
de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus
loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences
Accéder à toutes les Publications : L’agriculture et les bioénergies. Depuis 2005, nos articles, synthèses de débats, revues de
presse, sélections d’ouvrages et de dossiers concernant les biocarburants, les agromatériaux, la chimie verte ou encore l’épuisement des ressources fossiles... Edités par le
Magazine Web de la Mission Agrobiosciences
Accéder à toutes publications Histoires de... »- Histoire de plantes (gui, luzerne, betterave..), de races animales,
de produits (foie gras, gariguette...) pour découvrir leur origine humaine et technique et donc mieux saisir ces objets. Editées par le Magazine Web de la Mission
Agrobiosciences.
Accéder à toutes les publications. Sur
l’eau et ses enjeux. De la simple goutte perlant au robinet aux projets de grands barrages, d’irrigations en terres sèches... les turbulences scientifiques,
techniques, médiatiques et politiques du précieux liquide. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder à toutes les publications Produits de terroir, appellations d’origine et indications géographiques. Pour tout savoir de
l’avenir de ces produits, saisir les enjeux et les marges de manoeuvre possibles dans le cadre de la globalisation des marchés et des négociations au plan international.
Mais aussi des repères sur les différents labels et appellations existants. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder aux Carnets
de Voyages de Jean-Claude Flamant. De Budapest à Alger, en passant par la Turquie ou Saratov en Russie, le regard singulier d’un chercheur buissonnier en quête
de sens. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences
ACCEDER
A LA TOTALITE DE LA REVUE DE PRESSE DE LA MISSION AGROBIOSCIENCES
RECEVOIR GRATUITEMENT LA LETTRE ELECTRONIQUE DE LA
MISSION AGROBIOSCIENCES
|